CHRISTOPHE est mort

Par Alexandre Demartin
Le 17 avril 2020
10 mins

C’est une véritable icône de la Chanson Française qui vient de nous quitter cette nuit à l’âge de 74 ans. Daniel Bevilacqua plus connu sous le nom de CHRISTOPHE a tiré sa révérence à l’image de sa personnalité : discrètement.

Référence pour bon nombre d’artistes toutes générations confondues, CHRISTOPHE laisse derrière lui une pléiade de titres phares et surtout un esthétisme comme peu d’artistes peuvent se targuer de maîtriser.

Daniel Bevilacqua naît le 13 octobre 1945 à Juvisy-sur-Orge. Adolescent, il voue une passion pour le pays de l’Oncle Sam et sa fameuse American way of life : sa musique (le blues, le rock), ses juke-box, ses idoles cramées (James Dean, Elvis PRESLEY) et ses voitures de sport. Il aime aussi George BRASSENS… début d’un contraste permanent entre deux mondes. CHRISTOPHE monte alors un groupe de rock qu’il nomme Danny Baby et les Hooligans. 1964 : Il enregistre un premier 45 tours, « Reviens Sophie ». Ce n’est cependant pas avec ce prénom qu’il triomphera.
 
Un an après, « Aline » se retourne lorsqu’on l’appelle pour qu’elle revienne. Cette chanson emblématique des yéyés devient l’un des slows majeurs de l’été 1965. CHRISTOPHE vend alors plus d’un million de disques ! Il fait également la première partie de Claude FRANÇOIS à l’Olympia avant d’entamer sa propre tournée. Il enchaîne rapidement les 45 tours : « Les Marionnettes » (1965), « J’ai entendu la mer » (1966) ou « Excusez-moi monsieur le professeur » (1966). À l’époque, CHRISTOPHE arbore plutôt un style de minet séducteur et la gente féminine n’est d’ailleurs pas insensible à ce charme.

Au début des années 1970, CHRISTOPHE tente à nouveau sa chance grâce au label Motors de l’éditeur Francis Deyfus. Exit Barclay. Il enregistre plusieurs chansons : « The Girl from Salina » (bande originale du film La route de Salina de George Lautner), « Main dans la main » (1972) ou « Rock Monsieur » (1973). Il faut toutefois attendre la rencontre avec Jean-Michel JARRE pour que CHRISTOPHE revienne vraiment dans la course. Leur premier album commun en 1973, Les Paradis Perdus, contraste avec la variété française de l’époque. CHRISTOPHE a également changé de style vestimentaire : il apparaît désormais moustachu, dandy en cuir, l’air légèrement désabusé. L’album Les Mots Bleus (1975) achève sa métamorphose. « Les Mots bleus », si inclassable, reste un classique de la chanson française souvent cité comme un incontournable. 

Après le succès de ses deux derniers albums, CHRISTOPHE semble désormais un artiste à part. Seul dans sa bulle musicale. Néanmoins, il renoue le contact avec son public lors de deux soirées à l’Olympia (1974) où il enregistre un premier album live. Il y chante notamment « Señorita » ou « Le dernier des Bevilacqua ». Il persévère hors des sentiers battus avec deux albums moins connus : Samouraï (1976) et La Dolce Vita (1977).

À la fin de ces années, CHRISTOPHE se révèle dans ce qui l’anime et le caractérise : Le Beau Bizarre. Il fait figure d’OMNI (objet musical non identifié). Cette période reste dans une veine d’exploration expérimentale et musicale via les synthétiseurs. Néanmoins, alors qu’il a acquis un public tout à fait différent des yé-yés, Christophe accepte de sortir un remix de « Aline ». Drôle de stratégie ? Toujours est-il que le public nostalgique repart danser le temps d’un slow mais ce qui est certain c’est que l’avenir musical de CHRISTOPHE sera à dominante électronique.

Durant les années 1980, CHRISTOPHE revêt à nouveau le costume de séducteur en veste de cuir. Il semble loin le temps des mots ambigus. Il touche le coeur des jeunes femmes avec les 45 tours « Succès fou » (1983) ou « Ne raccroche pas Stéphanie » (1985). Cette chanson flirte entre le super culte et le ringard absolu. Comme d’habitude. Mais Christophe n’a-t-il pas déjà atteint avant nous le 15ème degré ? Il enregistre un album doucement ironique Clichés D’Amour, avec des reprises de chansons comme « Besame Mucho ». Il termine cette décennie avec un 45 tours oublié « Chiqué, chiqué » (1988). L’amour, Monaco, la séduction… CHRISTOPHE aurait-il à nouveau croisé les paradis perdus ? En tout cas, il fait un long break dans sa carrière. Presque durant dix ans. Il s’enferme quelque peu dans cette image de vieux crooner ermite et collectionneur de jukeboxes Wurlitzer.

1996 : Le moustachu a changé de maison de disques. Celui qui vit désormais la nuit entame son sempiternel come-back avec un album éponyme : Bevilacqua. CHRISTOPHE en a écrit la plupart des textes et fait preuve comme dans les années 1970 d’un travail original en matières de sons. On parle alors de cyber-jazz et de techno. Un premier single « Le Tourne-coeur » dévoile ce mélange sonore orné de cette voix efféminée si particulière. À cette époque, la critique musicale dite pointue s’emballe. Elle consacre Christophe comme un artiste définitivement à rebours de toutes les modes. CHRISTOPHE enregistre également sur cet album un duo avec une de ses idoles Alan Vega du groupe Suicide.

Christophe est désormais une de ces icônes invraisemblables de la chanson française. Son nouvel album Comm’ Si La Terre Penchait (2001) laisse à nouveau pantois le microcosme musical parisien. On encense ses audaces musicales. CHRISTOPHE retrouve le public lors d’un spectacle à l’Olympia en 2002 après vingt-huit ans d’absence. C’est évidemment le triomphe.

En 2008, Aimer Ce Que Nous Sommes refait le coup de l’album culte, encensé ici, incompris là. Les belles mélodies se mêlent aux expérimentations en studio. CHRISTOPHE redevient l’idole, mais des branchés cette fois et se veut rassembleur quand il joue un soir de 14 juillet en plein air au Château de Versailles. 

Le 16 décembre 2013, CHRISTOPHE enregistre en public au studio Davout à Paris un récital piano-voix qui débouche sur la sortie en mars 2014 de l’album Intime. Il retrouve Jean-Michel JARRE, Boris Bergman et d’autres auteurs pour son treizième album Les Vestiges du Chaos, arrangé par Clément Ducol et produit par Christophe Van Huffel. Celui-ci, paru en avril 2016, contient un duo-hommage à Lou Reed avec Alan Vega et un autre chanté par Anna Mouglalis.

Une fois de plus, CHRISTOPHE se range du côté de l’électro et de ses rythmes syncopés. Les fans de la première heure sont complètement désarçonnés, ce que l’on nomme la Nouvelle Scène Française le hisse au rang de Légende. Hommage que CHRISTOPHE lui rendra bien en convient ces jeunes pousses sur deux volumes de réinterprétations de ses plus grands tubes sobrement intitulés « Christophe etc.«

Seront au rendez-vous : Julien Doré, Sébastien Tellier, Jeanne Added, Juliette Armanet…mais aussi de vieilles connaissances comme Eddy MITCHELL ou encore Etienne DAHO. C’est dire si CHRISTOPHE aime le mélange des genres, entre un « Coeur défiguré » aussi brut qu’un vieux vinyl de Motorhead ou « La Petite fille du 3e » à faire pâlir tous les meilleurs DJs du monde. 

CHRISTOPHE c’était la passion du son, simplement et uniquement, et sans le moindre compromis. Aucune soumission, juste l’envie de sans cesse explorer de nouvelles contrées musicales et ce, au risque de perdre quelques fans sur le chemin. 

Assurément ce génie créateur et créatif manqueront au paysage musical hexagonal, qui par l’entremise de CHRISTOPHE, a pu se rendre compte que peu importe l’âge, chaque artiste peut s’il le souhaite se remettre en question et ne pas conserver l’étiquette qui a un jour fait son succès. Grazie mille Monsieur Bevilacqua.

Alexandre DEMARTIN