François Bernheim « Eddie Barclay et moi » Cherche Midi

Par Jean-Pierre Pasqualini
Le 3 juin 2025
11 mins
François Bernheim « Eddie Barclay et moi » Cherche Midi

Je connais François Bernheim depuis des années. Je l’ai souvent croisé à la SACEM, interviewé aussi, notamment avec le gagnant de la Star Ac 7 en 2008 : Quentin Mosimann (interview croisée filmée disponible sur Youtube : https://www.dailymotion.com/video/xiuj33).

Bernheim, c’est aussi des tubes pour Renaud, Kaas, Cocciante…

Cependant, ce n’est pas sa carrière que ce compositeur doué a voulu raconter dans ce livre, mais son amour « filial » pour le producteur qui lui a donné sa chance à la fin des années 60 : Eddie Barclay…

Avant de rencontrer « l’empereur du show biz », en été 1968, François avait été membre du trio des Roche Martin avec Véronique et Violaine Sanson, rencontrées en vacances, en été 1966, à l’hôtel Colon de Castel d’Estrach, au nord de Barcelone, en Espagne. Un trio – engagé chez EMI « par une relation » de la mère des deux sœurs : le pdg Alain de Ricou en personne -, qui a sorti deux super 45 tours en 1967 et 1968. Un trio qui n’a pas marché malgré Michel Berger à la production et Tony Krantz comme attachée de presse. Une période où François croise Julien Clerc et Etienne Roda-Gil, Dani…. Avant de se faire réformer.

Et comme ce fils – appelé le « Dauphin » – veut absolument être aimé de son « roi », il va essayer de l’impressionner avec ses productions…

Les débuts, dès le 1er septembre 1968, seront difficiles. Il faut attendre l’automne 1970, pour qu’avec l’ex-chanteuse Jacqueline Néro, alias Marthe Herrenschmidt (qui a été la compagne de Léo Missir, un proche de Barclay, « échangé » contre Leny Escudéro…), inspirés par les Voices Of East Harlem, ils créent les Poppys. Ils leur écrivent (François, n’assumant pas, prendra un pseudo qu’Eddie lui reprochera) un matériel sur mesure qui sera adapté en italien, espagnol… Ils feront même des tournées jusqu’en Allemagne accompagnés par les futurs membres de Téléphone.

Même si le livre ne le dit pas, l’aventure ne durera, pour François, guère plus de trois ans, les Poppys continuant leur route au-delà, mais sans succès.

Trois ans, c’est aussi la période sur laquelle s’étend le livre, même si quelques courts passages narrent aussi la jeunesse « modeste » du garçon catholique au nom juif (qui grandit sans salle de bain mais avec un Teppaz, avant d’être cloué chez lui par une mononucléose qui lui permet de se mettre à la guitare, de créer un orchestre et d’aller voir les Beatles à l’Olympia), et quelques autres font des flashes dans les années 80 à l’occasion de retrouvailles avec « le patron ».

Pendant ces années 1971 et 1972, Bernheim fera vendre beaucoup de disques à Barclay (notamment des Poppys), alors que la Compagnie va mal… Hubert Ballay, un barbouze qui a dirigé la société à la charnière des années 60 et 70, et a creusé un trou de 500 millions de francs dans la caisse. Même avec un prêt de Pathé (qui rêve d’absorber Barclay), un cadeau d’un million de francs de l’imprésarioTFélix Marouani et un nouveau DG, Grégoire Katz, cette entreprise toujours restée artisanale sera vendue à Phonogram à la fin des années 70.

François fera aussi un tube en 1971 avec « Le jour se lève » d’Esther Galil, dont on comprend dans le livre pourquoi elle n’a pas fait carrière et a connu Inès de la Fressange petite fille… Egalement un succès planétaire avec « Agadou », la même année, qui sera utilisé comme hymne du Club Med.

On apprend également que FB est prié par Eddie d’enregistrer les succès du moment sous divers pseudos : Frédéric Hubert, Alan Dell, Jérémy London…Les 45 tours sortent jusqu’en Italie et au Pérou.

Mais l’essentiel du livre n’est pas là, dans le business. Ni dans le show, d’ailleurs. L’essentiel, ce sont les Humains, ceux que François a appréciés (Eddie mais aussi Jacques Revaux), ceux qu’il a détestés : le compositeur Roland Vincent, le chanteur-compositeur Didier Marouani, le producteur Claude Carrère…)

Au fil des pages, on comprend mieux qui était Barclay, un timide qui aime se déguiser en femme, s’entoure de belles filles (parfois deux à la fois) et de personnalités volubiles qui lui servent de faire valoir… Un homme qui doit sa réussite à sa deuxième femme Nicole, qu’il a trompée et qui est tombée dans l’alcool et la drogue, ce dont Eddie ne s’est jamais remis…

Bien sûr, on parle de St Tropez, mais très peu, le récit se concentre sur Eddie à Paris : son appartement, ses bureaux, son studio, ses restaus comme Sébillon, La Tour d’Argent ou Le Bernardin…, ou ses lieux de nuit comme Castel ou le Don Camilo. Accessoirement le château de Chaumontel en banlieue parisienne.

On y croise, pêle-mêle, le monde du cinéma : Bardot (période Patrick ? puis Laurent Vergez), Delon, Anthony Quinn, Liza Minelli, Jean Yanne, Jean Lefebvre, Robert Hossein et Elsa Martinelli, celui de la télé et de la radio : Jacques Martin, Bernard Pivot, Jean Valton et Monique Thubert…, de la mode : Loris Azzaro, la littérature : Françoise Sagan…

Et bien sûr l’univers de la chanson : Aznavour, Brel, Gainsbourg, Salvador, Sardou, Legrand, Ferré (un anar qui ne parlait que d’argent et intriguait pour payer moins d’impôts…) et Ferrer, Nicoletta, Juvet (dont Florence Aboulker était amoureuse), Chédid, Vassiliu, Guy Mardel, Carlos, Lavil, Rita Cadillac, Pierre Brice, la Polonaise Cristina (que Barclay aurait mise dans son lit), Mick Jagger (qui pique Bianca au patron), Duke Ellington, Elton John, Jimmy Page, David Gilmour, Charles Brutus McClay, Donna Summer (qui veut mettre François dans son lit)…

Egalement les hommes de l’ombre du « Métier » : l’éditeur Max Amphoux, le patron de l’Olympia Jean-Michel Boris, les auteurs Pierre Delanoe (qui ne supportait pas le rap), Jean-Pierre Lang, Bernard Dimey, Boris Bergman, les arrangeurs Gabriel Yared, Hervé Roy, Michel Bernholc, Jean-Claude Petit, Claude Engel, le géant Estardy, la gens de radio Lucien Morisse, Arlette Tabart…

Mais ce sont les « collègues de sous-sol » de François qui sont le plus à l’honneur – et dont les noms sont des Madeleines de Proust : le patron du label Riviera Léo Missir, le photographe Alain Marouani, le chef de l’artistique Gérard Côte et son équipe : Naps Lamarche, Jean Fernandez, Richard Marsan, Norbert Saada (qui a créé La Compagnie avec Aufray et Gall), Bernard de Bosson (qui va partir créer WEA), Philippe Rault (à l’international), Patrick Vilaret (aux Nouvelles Editions Barclay), Gérard Lehner (tdu studio Hoche), René et Jean-Louis (du studio de maquettes), Jacques Duchaussoy (le directeur commercial), Mr Rossi au service du personnel, Daniel Guichard (qui bosse

encore au stock), les assistantes d’Eddie : Denise et Maria, ainsi que les attachées de presse : Annie Markhan, Josée (que François prend debout contre le mur de son bureau)…

Alors, oui, il y a quelques erreurs « historiques », mais les nostalgiques du show bizz – qu’ils aient connu l’époque de l’intérieur ou de l’extérieur – les rectifieront d’eux-mêmes… : la télévision existait en 1957 quand François avait dix ans ; les 403, les Vedettes, les 4 CV, les 2 CV… sont des voitures des années 50 et pas 60 ; « Comme ils disent » d’Aznavour » sort bien après « C’est extra » de Ferré ; les fesses de Polnareff s’affichent aussi plus tard ; Lavilliers n’est arrivé chez Barclay qu’en 1975 ; Yvonne de Gaulle n’a pas fait interdire « Le zizi » de Perret en 1975 mais « Les jolies colonies de vacances » en 1966 où son mari était encore au pouvoir ; le disco de Cerrone « ne frémit pas » quand sort « Le jour se lève » en 1971 ; « Fort Boyard » n’est créé qu’en 1990 et pas en 1973 quand Chédid sort son premier disque ; Goldman ne fait pas encore partie de Tai Phong en 1971 quand les Poppys enregistrent « Isabelle je t’aime »

J’ai aimé ce livre et l’émotion qu’il porte, laquelle a même émue Guillaume, lei fils de sang d’Eddie, né l’année où François arrive chez Claybar, et dont François parle avec beaucoup d’affection dans le livre…. Comme d’un frère…

JPP