Georgette LEMAIRE : "Johnny STARK m’a tuée !"

Par vincent_degremont
Le 24 juin 2016
8 mins
Georgette LEMAIRE : "Johnny STARK m’a tuée !"
Crédit photo : Melody de Star - Thierry CADET

Le monde impitoyable des télé-crochets 1/2

Comment l’ancêtre de The Voice a débouché sur l’une des rivalités les plus célèbres et les plus tragiques de l’histoire de la variété française…

Le 7 novembre 1965, la candidate qui porte le numéro 5 l’emporte au Jeu de la chance. Il s’agit de Georgette LEMAIRE. Plébiscitée, elle doit revenir la semaine suivante pour défendre son titre, et gagne à nouveau, reprenant avec succès « Padam Padam ». Quelques jours plus tard, alors que Georgette prépare sa troisième prestation, elle reçoit un coup de fil lui demandant de se retirer devant une nouvelle chanteuse : « Il faut laisser sa chance aux autres. Et le public appréciera de vous voir, à l’issue de l’émission, céder votre place ». Dans son autobiographie A m’en déchirer le cœur (2010), Georgette se souvient de ce que lui dit alors une mystérieuse « Jeannette » : « Elle me fait comprendre gentiment l’ultimatum : que je gagne ou non cette troisième émission, elle ne me fera pas revenir une quatrième fois ».

Le 21 novembre, la native de Belleville s’efface donc devant la toute jeune Mireille MATHIEU. C’est ensuite qu’elle réalisera « tout ce qui s’est injustement tramé dans [s]on dos », utilisant le même mot que Yoann FRÉGET (qui a récemment rejeté l’échec de son disque sur « toute une mafia qui existe par rapport à l’industrie de la musique ») : « Qui veut la peau de Georgette ? […] Johnny STARK, l’homme le plus puissant de son époque. Celui que tout le monde vénère et surtout, celui que tout le monde craint. STARK, rien que ce nom évoque un empire, une multinationale, et surtout une véritable mafia. Car celui qui n’est pas avec STARK est contre STARK ! Celui que STARK ne choisit pas n’a pas le droit d’exister. Et ce fut malheureusement mon cas ! Entre la blonde Georgette et la brune Mireille, Johnny a fait son choix ».

Exit la blonde, donc : « Sur le ring de la chanson, pour lui, il ne doit en rester qu’une : sa protégée, sa pouliche, sa muse. Il l’impose sur Le Jeu de la chance et la fait gagner. Dès lors, l’enfer commence pour moi. Le public me réclame, la foule m’acclame, mais Johnny est bien décidé à me faire disparaître par tous les moyens […] Il veut faire de moi la femme invisible, surtout la femme silencieuse. Dès que je suis conviée sur un plateau télé ou une émission de radio, il s’arrange pour que la programmation annule ma prestation. Aux soirées de premières, je ne suis bien évidemment pas invitée. Car l’éminence grise du music-hall, l’homme qui a inventé Johnny HALLYDAY et qui tente à présent de créer Mireille MATHIEU, est bien décidé à faire oublier Georgette LEMAIRE. Ainsi, je ne fais jamais partie des abonnés d’office aux émissions de Guy LUX et autres Maritie et Gilbert CARPENTIER [..] Aujourd’hui, je le dis, je l’écris et je l’assume : Johnny STARK m’a tuée ». Médiatiquement tout du moins : « à chaque fois qu’on me propose de passer à l’antenne ou sur les podiums Europe 1 ou de RTL […] je sais pertinemment que dans quelques heures, une voix embarrassée et anonyme me téléphonera pour me dire que finalement l’émission est annulée. STARK est passé par là, sciant la branche sans remords, comme il le fait toujours ». Rebelote pour l’Eurovision : « C’est ma maison de disques, Philips, qui a décroché le contrat avec l’Eurovision. Et c’est Jean-Pierre BOURTAYRE qui m’écrit une chanson magnifique et sur mesure : « Tant qu’il y aura sur terre ». Tout est prêt, la date est même fixée pour l’enregistrement du 45 tours. Devinez qui passe par là ? Johnny bien sûr qui impose alors Betty MARS, sa nouvelle pouliche dans l’écurie Philips. La suite, vous la devinez, Betty me coiffe au poteau et c’est elle qui part représenter la France au fameux concours de l’Eurovision ».

Georgette LEMAIRE ne pourra pas non plus poser sa voix sur la musique de l’un des plus grands succès cinématographiques de 1971 : « Je ne risque pas d’oublier ma mésaventure sur le film Love Story. Une fois encore, c’est moi que Philips avait choisi pour enregistrer la B.O de ce grand mélo avec Ryan O’NEAL et Ali MAC GRAW. A l’époque, Mireille MATHIEU n’est pas encore chez Philips, mais Johnny va l’imposer dans ma maison de disques. Et monsieur a le bras long : ce que Johnny veut, Dieu le veut. Mimi intègre Philips et, comme par magie, c’est elle qui se retrouve à enregistrer la B.O du film ».

A force de subir ce traitement injuste, l’auteure écrit que pour le Métier, elle est devenue « la pauvre Georgette, chanteuse triste, chanteuse sombre, aux idées mornes et dépassées ». Et cela aurait même pu être pire, car pendant une séance photo pour France Dimanche avec sa célèbre rivale, le Parrain de la variété lui propose un « contrat en or » pour la « réduire au silence ». « Tandis que je refuse de signer ce pacte avec le diable, je vois une autre chanteuse, Martine BAUJOUD, tomber sous sa coupe. Elle signe et voit en STARK son sauveur alors qu’il sera sa perte. Du jour où elle pose sa signature sur le contrat STARK, elle n’a plus jamais chanté de sa vie et a fini par se suicider ».

Finalement, Georgette LEMAIRE conclut, non sans une pointe d’amertume : « Johnny STARK est un imprésario comme on n’en fait plus. Avec toutes les qualités de ses défauts et les défauts de ses qualités. En ce qui me concerne, son plus grand défaut aura été de ne pas me choisir moi. De préférer l’Autre […] Sans le vouloir, j’aurais été le détonateur dans la carrière de Mireille ». Alors Mireille, merci qui ?

Vincent DÉGREMONT