Clarika, Sanseverino, Romain Didier, Cyril Mokaiesh... rendent hommage à Allain Leprest

Par Thierry Cadet
Le 15 novembre 2019
8 mins
Clarika, Sanseverino, Romain Didier, Cyril Mokaiesh... rendent hommage à Allain Leprest
Crédit photo : David Desreumaux / Hexagone

« Saravah ! » dirait Eric GUILLETON, l’un des artistes historiques de ce label non moins historique qu’est Saravah — ce dernier a par ailleurs fêté ses 50 ans en 2016, quelques mois seulement avant la disparition de son fondateur Pierre BAROUH. Allain LEPREST était de ceux pour qui le label Saravah leur a permis de créer en toute liberté, rejoignant ainsi Alfred SANVI PANOU, Brigitte FONTAINE, Areski BELKACEM, Jacques HIGELIN, David MC NEIL ou MAURANE. Grâce à Pierre BAROUH, directeur du label Saravah, Allain LEPREST rencontre l’accordéoniste de jazz Richard GALLIANO et réalise « Voce a mano« , album qui sort en 1992 et qui lui vaudra le Prix de l’Académie Charles-Cros. Deux ans plus tard, il dévoile le disque « 4« , et se produit pour la première fois à l’Olympia, en 1995.

Cité comme « le Rimbaud du XXème sciècle » par Jean D’ORMESSON, ou comme « l’un des plus foudroyants auteurs de chansons au ciel de la langue française » par Claude NOUGARO, Allain LEPREST n’en demeure pas moins, huit ans après sa disparition, dans le cœur de la jeune génération, d’Olivia RUIZ à Gauvain SERS. « Gauvain SERS qui, dans « Pourvu« , titre diffusé un moment en continu sur les antennes, cite Allain LEPREST — « Pourvu qu’elle sache qui est LEPREST » — a, en l’espace de huit syllabes, fait plus pour la promotion nationale d’Allain LEPREST que tout mon travail pendant quinze ans ! » confie Didier PASCALIS, son dernier producteur, à nos confrères du mook « Hexagone« . Le pari de ce dernier était de continuer à faire vivre l’auteur et l’interprète de « C’est peut-être« . « La légende n’est pas fausse de dire qu’il ne buvait pas que de la grenadine. C’est sur ce point-là qu’il y a eu des tensions parfois. Il était également entouré de collègues et d’amis qui ne l’éloignaient pas de cette problématique d’alcoolisme, chose que j’ai du mal à comprendre, moi qui ne bois pas. Je savais aussi que je représentais pour lui un refuge. Je ne passais donc pas mes soirées avec Allain LEPREST. J’ai pu passer pour un rabat-joie car mon but était qu’Allain fasse aboutir les projets qu’il avait en tête. Nous nous sommes rapprochés quand il est tombé malade du cancer, et c’est là que j’ai monté le projet de reprises « Chez Leprest« . Je me suis beaucoup plus occupé de lui à partir de ce moment-là. J’ai une nature très protectrice. Mais j’avais une sorte de défaut de légitimité, et on ne comprenait pas pourquoi c’était moi plutôt qu’un autre qui m’occupais d’Allain » poursuit-il.

Un vœu de réhabilitation du répertoire de l’artiste, exaucé en 2011 donc, l’année de sa disparition, grâce à l’enregistrement de deux albums « Chez Lesprest vol. 1 » et « Chez Leprest vol. 2« , au sein desquels de nombreux artistes reprennent ses chansons. « C’était quand même inédit que de réunir tant d’artistes pour lui rendre hommage de son vivant avec des gens aussi différents que Hervé VILARD, ADAMO, HIGELIN, CLARIKA » déclare Romain DIDIER. « C’était comme une volonté de réparer la mauvaise conscience du métier en général, responsable du fait qu’un génie comme lui ait pu travailler dans l’indifférence la plus totale du grand public. Je considère que c’est un des plus grands auteurs que la chanson ait produits, vivants et morts confondus« .

Et depuis quelques mois, à nouveau, grâce à une demi-douzaine d’artistes aux parcours différents  CLARIKA, SANSEVERINO, Romain DIDIER, Cyril MOKAIESH, parfois ENZO ENZO et Alexis HK, qui sillonnent les routes de France accompagnés d’un orchestre symphonique, unis par le même souci d’exigence. Quatre d’entre eux, CLARIKA, SANSEVERINO, Romain DIDIER et Cyril MOKAIESH, dévoilent aujourd’hui l’album « Leprest en symphonique« , chez Tacet. « Durant les trois dernières années de sa vie, je l’ai croisé assez souvent dans des festivals, nous avons partagé certaines scènes » renchérit CLARIKA. « J’ai rencontré un homme très drôle, et pas sinistre ! La soirée avançant, il faisait des blagues un peu nulles, mais ce n’était jamais lourd. Même quand il devait s’asseoir pour chanter parce qu’il n’était pas en forme, dans les coulisses c’était toujours assez léger, pour le peu que je l’ai croisé. Il me semble que c’est important de le souligner parce qu’on pourrait penser à un être plutôt torturé, très sinistre, et ce n’était pas le cas« .

Allain LEPREST est auteur, parolier et interprète, né à Lestre dans le Cotentin en 1954, il est considéré comme un auteur de grande qualité, dans la lignée de la chanson poétique de tradition française. Ses ainés tels que Jean FERRAT, Henri SALVADOR, Claude NOUGARO, lui vouaient reconnaissance et admiration; rejoint par Juliette GRÉCO, Francesca SOLLEVILLE ou Anne SYLVESTRE. Allain LEPREST a construit une œuvre en artisan émérite et très exigeant tout en restant distant des médias. Il recevra le Grand prix SACEM de la Poésie en 2009, ainsi que le Grand Prix In Honorem de l’Académie Charles Cros. « Nous sommes dans une sorte de paradoxe : tous les journalistes, tous les professionnels savent qu’Allain LEPREST était un génie, mais ses chansons ne passent pas à la radio… Les gens qui reconnaissent le génie d’Allain, ceux qui disent que ses disques sont formidables ne sont pas les faiseurs d’opinion. Nous sommes invités à France Culture, France Musique, RFI. C’est fabuleux mais ce n’est pas l’auditoire de NRJ. Il ne peut pas être reconnu du grand public parce qu’il n’en est pas connu. C’est tout le travail que j’essaie de mettre en oeuvre : élargir le spectre de son auditoire. Et je suis persuadé que toutes les occasions sont bonnes à prendre« .

Par Thierry Cadet