Michel Drucker : "Johnny était d'une beauté incroyable"

Par Jean-Pierre Pasqualini
Le 3 décembre 2018
45 mins
Michel Drucker : "Johnny était d'une beauté incroyable"
Crédit photo : INA

Johnny HALLYDAY, un an déjà… « Télécâble Sat Hebdo » dévoile ce lundi dans son nouveau numéro, la programmation spéciale consacrée à l’idole sur Melody (qui est exceptionnellement en clair chez tous les opérateurs en France en décembre), mais aussi un hors-série exceptionnel « Johnny Hallyday – 60 ans de shows de TV », au sein duquel Michel DRUCKER se souvient de son amitié avec l’interprète de « Pardonne-moi », livrant de nombreuses indiscrétions par le biais d’une interview exclusive. Un dispositif inédit. Réalisé par une équipe de passionnés et d’experts, ce numéro collector (en tous points original) présente les plus belles émissions de la carrière de Johnny. Grâce à ce hors-série le public et les fans peuvent mesurer l’importance et l’influence qu’a eu la télévision sur sa carrière. Ils peuvent y découvrir par la même occasion des photos inédites de l’INA où l’on retrouve Johnny en compagnie de ses amis et ses proches, ainsi que des flashcodes offrant un accès exclusif à dix vidéos inédites issues du fonds de l’Institut national de l’audiovisuel et celui de la RTS, la Radio Télévision Suisse.

Une opération d’exception qui se traduira donc par une programmation spéciale en hommage à l’artiste qui s’étendra tout au long du mois de décembre sur l’antenne de Melody. Au programme, les téléspectateurs peuvent découvrir : des émissions de variétés la plupart jamais revues (« Numéro Un Johnny Hallyday », « Sacha Show », « Télé Dimanche »…), un concert 100% inédit en France (Johnny HALLYDAY au pénitencier de Bochuz), un film culte remasterisé (« Le spécialiste »), et bien d’autres surprises à retrouver en clair et en intégralité tout au long du mois de décembre sur Melody !

Voici donc l’interview de Michel DRUCKER sur « son Johnny », réalisée le 7 novembre dernier et publiée ici en intégralité. Une exclusivité Melody :

[JPP] Une des premières rencontres entre l’idole des jeunes et le jeune animateur de variétés est symbolique pour Melody, chaîne de télé du Nord, car elle a lieu à Douai, en octobre 1966, non ?

[Michel DRUCKER] Oui, c’était pour la première émission de « Tilt Magazine », devant le beffroi qui penche, sur la Grande Place de Douai. En direct et en noir et blanc. Jean-Pierre SPIERO en était le réalisateur, Michèle ARNAUD, la productrice.

1966 est l’année de vos débuts dans les variétés, mais c’est aussi celle du déclin des yéyé. Avec notamment l’arrivée d’Antoine qui veut mettre Johnny « en cage (au cirque) Médrano »…

Oui, ce n’était pas bien pour Johnny. Contrairement à ce qu’on pense, Johnny, ça n’a pas toujours été au top, et là, les salles n’étaient pas pleines, les disques se vendaient moins. Donc, quand on se retrouve à Douai – je l’avais déjà croisé (Ndlr : comme chroniqueur sportif sur « Télé Dimanche »), je le trouve pale d’inquiétude. Et moi je l’étais également parce que je me demandais si on allait me reprendre après cette première émission…(sourire). Johnny était tétanisé parce qu’il revenait avec « Noir c’est noir », « Black Is Black », et qu’il ne savait pas si cela allait marcher. Après l’émission, on est rentré à Paris tous les deux. C’est lui qui conduisait car c’était sa voiture : une Lamborghini ou une Ferrari, peut-être une Jaguar type E… Il a eu toutes les voitures de sport de l’époque. On a pris la route à deux heures du matin, avec le crachat du Nord. Je me souviendrai toujours des silences de Johnny, surtout ce soir-là. Entre deux longs silences, il se tournait vers moi et me demandait en boucle : « Tu crois que ça va remarcher pour moi ? ». Et moi, je lui répondais : « Est ce que tu crois qu’on va me reprendre, Johnny ? » Tout en tremblant de voir le compteur de vitesse grimper : 150 km/h, 180, 200, 220… Quand j’ai vu l’aiguille sur 240, j’ai dit à Johnny : « De toute façon, on n’aura pas la réponse ce soir. Pour l’instant, on est mort… Et on va terminer à l’hôpital » (rires).

Il faut dire que quelques semaines avant, Johnny avait fait une tentative de suicide, juste après la naissance de son fils David…

Johnny sortait d’un séjour dans une maison de repos en Suisse. Son couple avec Sylvie battait de l’aile. A l’époque, c’était tournée d’été et tournée d’hiver. Tous les chanteurs chantaient 250 soirs par an. Sans TGV, sans autoroute : le jeudi Montpellier, le vendredi Dunkerque. Peu de couples de chanteurs pouvaient résister à ça.

Avez-vous présenté des spectacles de ces tournées des sixties ?

Non, mais j’en ai suivi quelques-uns, C’était un truc de fou. A peine le gala fini – après les dédicaces -, les artistes prenaient la route à deux heures du matin pour se rapprocher de l’étape suivante. Souvent, ils conduisaient eux-mêmes. C’était le cas de Johnny. Pour finir avec cette première émission de 1966, elle a été un grand succès, « Noir c’est noir » a été un tube et la carrière de Johnny est repartie. Et je l’ai vu souvent à la suite.

Remontons encore plus loin en arrière. Quel est votre premier souvenir de Johnny HALLYDAY ? J’imagine qu’en 1960, il ne vous a pas laissé indifférent ?

Ce qui m’a surpris quand il est arrivé, c’est sa beauté. A 17/18 ans, il était d’une beauté incroyable. On aurait pu se dire qu’il n’allait chanter qu’un seul été, mais on a tout de suite compris qu’il avait un potentiel pour durer. Il faut dire qu’il avait déjà fait beaucoup de scène, dès son enfance, en tournant dans toute l’Europe avec ses cousines et Lee HALLYDAY, le mari de l’une d’entre elles. Les années 50 de Johnny, c’est un peu « La Strada ». Johnny, c’est quelqu’un qui a connu la vie très tôt.

Vous souvenez-vous de sa première télévision, en avril 1960 ? Dans « L’école des vedettes » d’Aimée MORTIMER ?

Oui, il y avait Line RENAUD également qui, pour l’occasion, jouait sa « marraine ». On voit bien qu’il est d’une timidité incroyable – il le restera toujours, même s’il arrivera peu à peu à mieux le cacher – et il est beau comme un Dieu ! Ou comme ses idoles, Elvis PRESLEY et James DEAN.

En plus de sa beauté, cette timidité lui donne un charme fou qui lui permet de devenir l’idole des jeunes et des copains…

Les copains, ils sont dans le public mais aussi autour de Johnny. Dès que je l’ai connu, j’ai senti qu’il en avait besoin, autant que des filles. Johnny ne pouvait pas rester seul. Ça m’a toujours fasciné. Il a usé je ne sais combien de copains qui pendant des nuits entières le suivaient. Et il n’était pas toujours au top à 5h du matin Johnny (sourire)… Les copains n’étaient pas forcément là pour lui parler, car Johnny ne parlait pas beaucoup, il gambergeait… Souvent il réfléchissait à l’avenir, à comment il allait pouvoir rester numéro 1, cela le hantait. Il avait peur qu’on le laisse tomber, qu’on l’abandonne… Donc il avait besoin de la présence de copains pour le rassurer. Et beaucoup de « copains » en ont profité car Johnny payait pour eux.

Et ces « copains » profitaient aussi des jolies filles qui gravitaient autour de Johnny…

Toutes les filles vont être folles de lui ! Et il a un poil d’avance sur Claude, Cloclo, qui arrivera un peu plus d’un an après ! Quand je l’ai connu, c’était encore les années d’insouciance même s’il était marié avec Sylvie (Ndlr : depuis 1965). Le mariage de ces deux idoles a chaviré la France. Ensuite, il y aura STONE ET CHARDEN, SHEILA et RINGO…, mais eux, c’est dix ans avant et ils sont surtout dix ans plus jeunes !

Pour leur mariage, ils font même la une de l’Express, preuve de leur impact social…

Comme j’ai bien connu Sylvie aussi, j’ai rencontré toute sa famille : son frère Eddie, sa maman avec laquelle j’étais très ami – elle venait de l’empire austro-hongrois… Et toute cette famille VARTAN va adopter Johnny. Dans sa vie, Johnny aura eu deux familles : la famille VARTAN et la famille BOUDOU. Deux univers différents, deux clans.

C’était un enfant qui avait besoin d’amitié, d’amour… Le manque du père et de la mère dans son enfance avait laissé un trou béant…

Oui et il s’est laissé totalement entourer, protéger…, tellement qu’il a confié plein de choses à ces familles. Son histoire avec la famille BOUDOU, ce n’est pas un secret, c’est une série américaine (sourire). Je pense que là où il a été le plus protégé sur le plan affectif cela a été avec la famille VARTAN… Car là, il est entré dans une famille d’Europe centrale, qui était arrivée de Bulgarie, c’est à dire des Pays de l’Est qui, à l’époque étaient derrière le Rideau de Fer. Ces gens-là avaient souffert et avaient des valeurs…

On sait que vous avez été également très proche de Claude FRANÇOIS, également dès les débuts de « Tilt » en 1966… Ça créait des tensions ?

Déjà, les deux ont eu le même secrétaire, Ticky HOLGADO – qui, ensuite, est devenu acteur – a d’abord été celui de Claude et ensuite celui de Johnny. Cela n’a pas été un hasard. Johnny voulait comprendre comment Claude pouvait avoir autant de succès et il posait des questions à Ticky. Autant le dire, le succès de Claude donnait des boutons à Johnny. Il disait : « Comment se mec, avec la voix qu’il a, peut-il vendre autant de disques ? » (sourire). Parce qu’à une époque, Claude vendait beaucoup plus de disques que Johnny ! Johnny, qui avait souvent des phrases qui tuent, disait même : « Avec Claude FRANÇOIS, quand t’enlèves les CLODETTES, qu’est ce qu’il reste ? » (rires) « Moi aussi, je peux mettre des CLODETTES derrière moi si je veux ».

Une rivalité qui avait été attisée lors de la tournée d’été 1963 que Claude avait faite avec Sylvie, déjà avec Johnny… Cloclo lui avait même offert un caniche…Et Johnny avait alors demandé à CARLOS, le secrétaire de Sylvie, de surveiller ce qui se passait et de tout lui raconter…

Ça devait l’énerver, surtout que Claude avait un public féminin, énorme, et plaisait aussi aux filles… Mais Johnny avait en plus un public masculin, ce que Claude n’avait pas.

A l’époque, les fans devaient choisir leur camp…

Les deux se tiraient la bourre… Mais les fans ont toujours dû choisir leur camp. Dans l’histoire de la chanson française, toi qui la connais par cœur, tu sais bien qu’il y a toujours eu deux types au sommet sur le même créneau… A une époque, cela a été SARDOU et LAMA, plus tard la petite Vanessa PARADIS et ELSA… C’était pareil dans l’humour, tu avais Raymond DEVOS et Guy BEDOS. Pareil dans le sport avec SENNA et PROST. Aujourd’hui, t’as M’BAPPÉ et NEYMAR. Idem à la TV : à une époque il y avait moi et SABATIER. Quand il est arrivé, on a dit c’est le nouveau DRUCKER.

Avez-vous été aussi proche de Johnny dans les années 80 ?

Oui. Mon Johnny, c’est celui du premier cercle avec Sylvie, CARLOS… Jusqu’à Laetitia… Je n’ai pas appartenu au dernier cercle.

Vous êtes donc resté proche de lui quand il était avec Nathalie BAYE aussi ?

Nathalie aussi, bien sûr. Laetitia a fait le ménage car Johnny était toujours entouré de beaucoup de parasites, de profiteurs. Pourtant elle était très jeune à l’époque… Nathalie BAYE avait déjà fait la même chose.

Elle qui était dans le cinéma lui a présenté de grands réalisateurs : GODARD, Costa GAVRAS…

Et aussi BERGER et GOLDMAN ! Capital ! Durant ces années 80, on dirait un étudiant, il ne boit plus, il est mince. L’été, il ne fréquente plus les discothèques de la Côte d’Azur, mais une ferme dans la Creuse où il casse du bois à la hache à 8 heures du matin (sourire). Les périodes de Johnny, il faut les voir à travers le prisme de son look et de son physique. Il y a eu l’avant muscu et l’après muscu, l’avant tatouage et l’après tatouage, l’avant Harley et l’après Harley (sourire).

Racontez-nous vos années 90 avec Johnny. Les années Adeline… St-Tropez avec sa villa « La Lorada »

Mes souvenirs à « La Lorada » – contraction de Laura et David – sont très particuliers. La première fois qui j’y suis allé, les peintures n’étaient même pas encore sèches. Johnny voulait que je sois le premier à voir cette maison et il m’a invité à passer le week-end chez lui. Comme je voulais faire un portrait de lui pour la télévision, on a décidé de le faire à ce moment-là. Je suis donc parti pour trois jours à St-Tropez avec toute une équipe. Dès notre arrivée, Johnny nous accueille dans le jardin comme des amis qu’il a invités à passer du bon temps. D’ailleurs, on ne tourne pas durant cette première journée. Il fait tout pour gagner du temps car il n’aime pas les caméras. Comme je le connais, je lui redis qu’on est là pour faire un portrait de lui, qu’il faut être discipliné… Sous-entendu : ne pas trop faire la fête la nuit… Dès le premier soir, alors que je vais me coucher tôt comme toujours, il ne me dit rien mais sort en boite. Evidemment, je l’apprends à mon réveil – il vient à peine de rentrer – et je me demande s’il sera au rendez-vous qu’il m’a fixé à 8 heures dans sa salle de sport. A l’heure prévu, je m’y rends. Evidemment, je suis tout seul (sourire). Et je constate que sa salle de sport, c’est un peu le showroom Décathlon (rires), avec tous les appareils de musculation de la planète. J’ai le temps de tout bien regarder car à 8h30, il n’est toujours pas là. Pas plus qu’à 9 heures. Il finit par arriver et se met tout de suite sur une machine. Et là, j’ai vu une chose incroyable. Irrésistible. Mon Johnny, pour travailler ses muscles des bras et ses pectoraux, tenait dans sa main droite la machine et, dans sa main gauche… une Heineken bien fraîche… (rires). Il faisait une dizaine de tractions et, ensuite, il inversait, et ainsi de suite : c’était irréel.

Il n’était jamais agacé par le fait que vous ne le suiviez pas dans ses sorties nocturnes ? Un de ses fidèles photographes, Tony Frank me racontaient qu’il en voulait aux copains qui ne le suivaient pas dans ses délires. Que pour travailler avec lui, il fallait le suivre…

Oui, mais ceux qui l’ont quitté, ils n’en pouvaient plus ! Le rythme de vie de Johnny a foutu leur santé et leur vie de famille en l’air. Pour suivre Johnny, il ne fallait pas avoir d’enfant, pas de femme, rien. Johnny, comme Claude, savait que je n’étais pas un nocturne, depuis le début. Ils n’essayaient même pas de me convaincre. En revanche, Johnny se foutait de moi et me disait : « T’as une vie de merde » (rires). Pour en revenir aux fameux trois jours à « La Lorada », il est donc content que je sois un des premiers à coucher dans cette maison, la maison de ses rêves – payée par la maison de disques, comme toujours (sourire) – et un après-midi où on l’attend pour tourner, j’apprends qu’il fait la sieste. C’est son attachée de presse de l’époque, Anne-Marie LALLEMAND – dont le premier mari a eu un cabaret à Las Vegas – qui me l’annonce. On a déjà perdu une journée et il fait la sieste ! Sur ce, arrive le garde du corps de Johnny, un garçon de couleurs très sympathique, mort depuis. Il annonce qu’il y a deux messieurs qui viennent pour le bateau. On se regarde avec l’attachée de presse, visiblement pas au courant… Les deux messieurs nous rejoignent et on comprend que Johnny leur a commandé un bateau, une « Cigarette », c’est à dire un bateau de course par excellence. Il avait dû le faire une nuit dans une boite… (sourire). Mais là, c’est plus sérieux car il a versé des arrhes… Donc, quelqu’un va le réveiller, et commence à me « vendre » sa « Cigarette » : « Tu verras, tu viendras avec moi, c’est formidable : il y a deux moteurs Yamaha de X chevaux, ça fait du 140 km/h sur l’eau et surtout il ne faut que 52 mn pour aller de St-Tropez à Calvi ! ». A ce moment-là, je le regarde un peu dubitatif et je ne peux m’empêcher de lui demander, un sourire au coin des lèvres : « Mais Johnny, quand vas-tu aller à Calvi ? » Et là, sans se démonter, avec le même sourire, il me répond sans une hésitation : « Jamais ! » (rires). C’était ça, Johnny.

Il l’a eu sa « Cigarette » ?

Non, il a perdu les arrhes… Et nous, le dernier jour, comme il y a eu une éclaircie et qu’il était plutôt en forme, on a tourné le portrait pendant une heure et demi. Au bord de la piscine. Et il a été formidable.

Etait-ce l’époque d’Adeline ?

Je ne sais pas, en tout cas, Adeline n’était pas là. Il était seul. Je me souviens qu’un des soirs, le dernier je crois, il a invité France GALL à dîner. Michel BERGER n’était plus là et elle vivait avec le fils de Régine.

Lionel ROTCAGE…

Exactement ! On est donc à table tous ensemble, avec mon équipe de tournage et, au milieu du dîner, on entend frapper à la porte. Quelqu’un va ouvrir et dit à Johnny : « Monsieur, c’est Eddy, le concessionnaire Harley de Carpentras ». Johnny fait signe de le laisser entrer. Arrive un biker, visiblement bon copain de Johnny, qui s’installe à table avec nous. On comprend qu’il est concessionnaire Harley pour tout le Vaucluse, et, comme il fait aussi du commerce de bijoux fantaisie, il nous offre notamment des grosses bagues de rockers… On n’a pas pu refuser, même si je ne suis pas certain que cela ait été le style de France GALL (rires). Evidemment, comme la soirée s’éternisait, vers minuit, je dis à Johnny que je vais me coucher – je repartais le lendemain matin tôt en hélico -, et là, après m’avoir dit pour la centième fois que je ne suis pas marrant, il me demande de le suivre. Arrivé dans le garage, il prend un ton un peu solennel et me dit : « On a eu 30 ans ensemble, et je ne t’ai jamais fait de cadeau ». Un peu gêné, je lui réponds : « Johnny, ton amitié me suffit ». Il m’écoute à peine et rajoute : « Je te fais un cadeau », tout en soulevant une housse sous laquelle je découvre une Harley Davidson flambant neuve qu’il venait de recevoir de Los Angeles. Emu, mais aussi amusé, je lui lance : « Tu me vois, moi, là-dessus ? ». Sans ciller une seconde, il me répond tout de go : « T’as tort de refuser car (DRUCKER imite alors la voix de Johnny) : ça va te donner un cul de jeune », il voulait dire « Un coup de jeune ». « Oui mais je ne vais pas en profiter longtemps car je vais me retrouver très vite à l’hôpital » (sourire). C’était ça, Johnny : un mec généreux qui voulait faire plaisir. Fin du flash-back. Les dernières années, il m’a souvent dit : « Vient en Suisse, à Gstaad, vient là ou là ». Je n’y suis jamais allé.

Dans les années 2000, vous ne l’avez donc plus vu que sur les plateaux de TV ?

Presque. En effet, ce que personne ne sait, c’est que je me suis occupé de ses yeux. Un jour, Laeticia m’appelle et me le passe. Là, il me dit : « J’ai un problème aux yeux ». Il sait que je connais tous les médecins de Paris, les bons dans chaque domaine. Il va donc voir celui que je lui conseille. Problème de cataracte. Il se fait donc opérer d’un œil – je lui dis : « Tu feras le deuxième plus tard » -, Parfait. A l’issu de l’opération, le chirurgien me rassure : « Ça s’est très bien passé : je l’ai opéré ce matin durant 2 heures et je lui ai dit de rentrer chez lui, de ne pas sortir pendant trois jours et de porter des lunettes noires afin de ne pas voir de lumières trop violentes. Egalement d’éviter la poussière et le maquillage. Très bien…

Et alors ?

Et bien, le soir même de l’opération, je dis bien le soir même, à 20 heures, mon téléphone sonne. C’est Johnny. J’entends qu’il est à l’extérieur. Il me dit (il l’imite) : « Ça va pas du tout ». Je lui demande où il est. Et là, il me répond : « A Dunkerque ». Je lui dis à la fois énervé et désespéré : « Mais Johnny, tu t’es fait opéré ce matin… » (toujours en l’imitant) : « Ouais, mais j’ai oublié de te dire : je chante dans l’émission de « Miss France » dans 2 heures, vers minuit moins 10 » (Ndlr : en 2007). Je reste bouche bée. Et là, j’apprends qu’il a fait la route en voiture, de nuit, en croisant donc des centaines de phares, qu’il va se faire maquiller, affronter des projecteurs… La totale. Et il rajoute : « Mais t’inquiète pas, tu vas voir, je vais chanter de profil et ça ne se verra pas ». Et, effectivement, il l’a fait comme ça… Et toute la France a dû se demander pourquoi il chantait de ¾ face… Johnny était un enfant. Jusqu’au bout.

Avez-vous des souvenirs des 10 dernières années ?

Oui car on a fait des shows ensemble. Il venait dans « Vivement dimanche », notamment pour présenter ses films. Il adorait parler cinoche. Peut-être parce que c’était la chose qu’il avait le plus souhaiter réussir et qu’il n’avait pas réussi. Souvenez-vous qu’on avait même tourné ensemble « L’aventure c’est l’aventure ». Je jouais le journaliste qui annonce son kidnapping (sourire).

Il préférait les caméras de cinéma à celles de la télévision ?

De loin ! Johnny n’aimait pas faire de la télé. Il n’aimait pas sortir trois chansons du contexte d’un show, ce n’était pas son truc. Surtout quand il fallait chanter en play-back. Mais il savait qu’il fallait le faire. Donc, à chaque fois, c’était un peu un pensum. En revanche, il était assez ponctuel. Et il s’y préparait bien. Nous deux, quand on se retrouvait, c’était particulier parce qu’on avait déjà fait tellement d’émissions ensemble. Souvent, quand il arrivait, il me regardait droit dans les yeux et me disait : « T’en as pas marre ? ». Invariablement, je lui répondais : « Non », en rajoutant : « T’en as marre de chanter toi ? » (sourire). Ensuite, il me demandait « T’as écouté le disque ? ». Je lui répondais : « Oui ». Et souvent, il rajoutait : « Tu crois qu’on sera encore là dans 20 ans ? Dans 30 ans ? », cette question le hantait. Après, sur le plateau, il fallait juste bien le canaliser, même s’il est arrivé deux ou trois fois qu’il débarque après n’avoir pas bu que de l’eau… Coup de bol : on n’était pas en direct, et on a pu faire du montage.

On imagine que Johnny n’était pas du matin…

Non, ce n’était pas avant 5 heures de l’après-midi car Johnny s’endormait en général vers 6 heures du matin et se réveillait vers midi voire 14 heures. Il était insomniaque. Quelquefois à cause du décalage horaire, le plus souvent parce qu’il avait vu trois films dans la nuit. Je n’ai jamais vu quelqu’un voir autant de films. D’ailleurs, c’est très simple, quand il déménageait, il installait d’abord sa salle de projection et construisait sa maison autour (sourire). Ses bateaux aussi : il pouvait avoir le plus beau bateau du monde, il fallait qu’il y installe une salle de projection. Donc, quand Johnny arrivait sur un plateau, il était toujours dans un état un peu nauséeux. Il s’animait vers midi, midi et demi, mais on ne pouvait pas faire de la TV avant 17 heures. LAMA et ADAMO sont comme ça aussi.

On imagine que Johnny insistait pour chanter en live en télé…

C’était un des rares à vouloir chanter en live, la plupart préféraient le playback. Mais comme Johnny faisait ça en une prise, ça allait vite. Johnny était le contraire de Claude qui voulait le son du disque à la télé, donc il préférait le playback qu’il maitrisait parfaitement. Il faut dire aussi qu’il dansait.

Quel est votre dernier souvenir professionnel de Johnny ?

Limoges pour sa dernière tournée (Ndlr : octobre 2015). Juste avant celle des VIEILLES CANAILLES. Attention : ce que je vais raconter est une scène de film. J’arrive donc dans l’espace VIP des avions privés au Bourget, à 17 heures. Là, je vois le gars qui s’occupe de la gestion de la compagnie privée qui est un ancien des 2BE3

Adel…

Exact, Adel, qui a très bien réussi (voir sur ce lien). Donc, c’est Adel qui m’accueille et me dit : « Je sais que t’as rendez-vous avec Johnny », il est arrivé. Il est là-bas. Et il me montre un vieux monsieur vouté qui dort sur un banc. Tout d’abord, je ne veux pas le croire et puis je m’approche. Là, je reconnais Johnny et, comme il a un chapeau de cow-boy sur la tête, je le soulève délicatement et je lui dis doucement « Johnny… » afin de ne pas le brusquer au réveil. Il ouvre un œil et me dit, hagard : « Mais qu’est ce que tu fais là ? ». Je réponds : « Ben Johnny, on va à Limoges… ». Lui : « Mais qu’est-ce qu’on va faire à Limoges ? ». Moi : « Tu chantes à Limoges ». « Ah bon ? ». « Oui, dans quatre heures car là il est 17 heures ». Et il se rendort.

L’attaché de presse arrive. Le manager arrive. C’est Sébastien FARRAN. On le met sur une chaise électrique de golfeur. On l’amène sur le tarmac. On le monte dans l’avion. Je suis assis à côté de lui et il dort pendant les vingt minutes que dure le vol. A l’arrivée, autre voiture de golfeur pour aller au Zénith. Il est 18 heures et déjà j’entends la salle scander : « Johnny ! Johnny ! Johnny ! » 10 000 personnes. On monte dans sa loge. Il dort toujours. Je le réveille pour lui donner ses médicaments. Il sait très bien que je suis frère de médecin et que je connais ça par cœur. Il a un problème respiratoire et utilise un aérosol (il imite Johnny respirant mal). Il est 18h30. Il chante à 20h. Johnny me confie ce que je sais déjà : il a un cancer du poumon.

A l’époque, peu de gens le savent. 19 heures. « Johnny ! Johnny ! Johnny ! ». Sébastien FARRAN entre dans la loge. Il dit : « Johnny, dans une heure, t’es sur scène ». Johnny lui répond : Je chanterai pas ce soir, je chanterai pas ce soir ». FARRAN me fait un clin d’œil genre : « T’inquiète pas, je connais l’histoire ». Aérosol. 19h15. Arrive le coiffeur, Mathieu, qui est aussi le mien, et qui, en l’espace de 20 minutes, le transforme déjà. La banane. Arrive la maquilleuse. Dans la glace je suis la transformation. Et là, il me fait hurler de rire parce qu’il me dit avec sa façon de parler tellement caractéristique (il imite) : « Pourquoi on n’a pas la même gueule alors qu’on a le même âge ? ». Je lui dis : « Johnny, moi je bois pas, je fume pas, je dors, je fais attention, je vois les médecins, je fais de la prévention, je suis avec la même femme depuis 40 ans… ». Il me répond : « Quelle vie de con ! ». Sur ce, arrive l’habilleuse. Il met sa tenue de lumière, se lève tel un torero dans une arène et chausse ses Santiags. Je retrouve mon Johnny.

Je n’aurais jamais imaginé que le vieux monsieur vouté que j’avais vu au Bourget 3 heures avant puisse grandir de 10 cm et rajeunir de 15 ans. Il me regarde alors et me dit : « Qu’est-ce qu’on a fait de nos 20 ans ? ». Je lui réponds : « Ben ça, Johnny, regarde, on est encore là tous les deux, 50 ans après. Souviens-toi Douai… » Insuffisance respiratoire. il devient blanc, car il avait le trac contrairement à ce que les gens imaginent. Il avait peur que sa voix le lâche. Il disait toujours : « Ils ont payé pour ça » (il montre sa gorge). Là, il avait encore plus peur que sa voix ne tienne pas à cause des aérosols. Ajoute à ça l’opération à Los Angeles suivi du coma, après lequel il avait dû réapprendre à parler, à chanter, à articuler car il avait perdu sa voix. Il est 20 heures environ : il entend les 10 000 personnes hurler. « Johnny ! Johnny ! Johnny ! » Il se lève. Aérosol. Il refuse la voiture électrique car il veut marcher jusqu’à la scène. Je le suis. Il me dit : « Va près de la console du son avec Sébastien FARRAN, descend dans la foule, je voudrais que tu voies mon entrée ». Je l’ai fait. Et une fois de plus, il m’a ébloui.

Idem à la fin du show avec « Et maintenant » de BÉCAUD. Il a souvent terminé avec une reprise de standard, que ce soit de BREL ou de PIAF. Il n’avait jamais oublié le conseil de Maurice CHEVALIER qui lui avait dit quand il avait 17 ans : « Il faut soigner ton entrée (claquement de doigt) et ta sortie (claquement de doigt). Et, entre les deux, tu te démerdes ». Il n’avait jamais oublié ça. Je me souviens que durant ce spectacle, je me suis dit que j’avais vu le fils du vieux monsieur du Bourget. Il sort de scène. Je le rejoins. On lui sèche les cheveux, on lui enlève son costume et c’est à nouveau un vieillard qu’on ramène sur la chaise de golfeur. A peine rentré dans la loge, il lance à FARRAN : « Je ne chanterai pas demain ». Johnny, j’ai dû l’entendre 10000 fois dire : « Je suis fatigué ». Il a toujours été fatigué. Notamment parce qu’il donnait tellement sur scène qu’il sortait lessivé. A chaque fois. Il n’était jamais « en dessous ». Après, la pile se rechargeait. Comme FARRAN ne lui répond pas, il insiste : « Qu’est-ce qu’on fait demain ? On chante où ? » FARRAN lui rétorque : « A Limoges. On a signé pour deux Zénith ». Et là, je retrouve mon Johnny, tel un enfant : « Mais on vient de chanter à Limoges. Pourquoi tu veux que j’y chante une deuxième fois, puisque je viens de le faire ? » (rires)

Qu’étiez-vous venu faire à Limoges ? Une captation pour une émission de télé ?

Non, on préparait un show TV. Il m’avait dit, viens avec moi à Limoges et on notera les artistes qu’on va inviter. D’ailleurs, à deux heures du matin, on est rentré à l’hôtel, et on l’a fait. Jusqu’à trois heures. On devait être à la quarante-cinquième date de la tournée. Il en a fait 90. Carrément malade. Et après, il a fait les VIEILLES CANAILLES. T’imagines ce que ça représente ?

A l’automne 2017, avez-vous su que sa santé se détériorait ?

Oui. On s’envoyait des petits textos. Je savais qu’il allait très mal. Il m’avait dit en déconnant à Limoges quand il respirait comme ça (bruit de respiration difficile) : « C’est toi qui me feras ma nécro… » Je lui avais répondu : « D’accord ». Quelques mois plus tard, je faisais sa nécro en direct. Cela a été un moment difficile car plein d’images me sont revenues, notamment nos derniers textos, 8 jours avant sa mort, dans lesquels, quand je lui écrivais : « Tient le coup », il me répondait : « T’as pas oublié ma nécro ? ». J’ai repensé à tout ça et comme je travaille sans prompteur, ni oreillettes, je n’ai pas réussi à aller au bout. J’avais prévu de dire : « Tu embrasses COLUCHE et GAINSBOURG pour nous mais ça n’est pas sorti ». J’étais seul sur le plateau mais, face à moi, il y avait toute la direction des chaines de France Télé qui étaient descendues et, à ma grande surprise, j’ai vu beaucoup de larmes couler. Quand je suis rentré chez moi, à minuit, j’avais 85 textos. La nuit qui a suivi, le double : 200 messages. J’ai mis 15 jours à répondre à tout le monde. Et je me suis rendu compte que Johnny était aimé au-delà de notre métier. Des intellectuels, des hommes politiques m’avaient écrit : HOLLANDE, SARKOZY… Comme pour AZNAVOUR, j’ai cru bêtement que ces gens seraient immortels. Surtout Johnny qui s’était sorti de tout. Je crois profondément que Johnny n’était pas doué pour le bonheur. Il y a des gars comme ça : DELON, c’est pareil. Johnny était un dépressif chronique. Depuis l’abandon par son père. Il avait mal vécu d’être seul aux obsèques de son père. Il me disait qu’il n’y aurait personne aux siennes.

Quels souvenirs gardez-vous de ses obsèques ?

Quand je suis entré dans l’église de La Madeleine, j’ai repensé à sa phrase « Qu’est-ce qu’on a fait de nos 20 ans ? » car tous les rescapés de cette époque étaient là : Jean-Marie PÉRIER, Eddy MITCHELL, Jean-Jacques DEBOUT, les copains des débuts…

Est-ce que les un million de gens sur les Champs-Elysées vous ont étonné ?

Non. Ce qui m’a le plus marqué, ce sont les deux familles dans l’église, une de chaque côté…

Vous pressentiez quelque chose ?

Oui, on sentait qu’on passerait vite de « Que je t’aime » à « Dallas » (sourire).

Propos recueillis le 7 novembre par Jean-Pierre PASQUALINI.

Remerciements à Jérôme DUTOIT.